Une soirée à  Kumamoto

Une soirée à
Kumamoto

Lorsque deux Ducatistes – et plus précisément deux Paul Smartistes, du bout du monde se rencontrent au coeur de l’île de Kyūshū, cela donne des situations plutôt saugrenues et terriblement sympathiques !

Tout a commencé il y a quelques semaines grâce à la magie de Facebook, lorsque Ben a cherché à contacter d’autres heureux possesseurs de Paul Smart à travers le monde. Le Japon est très vite ressorti de la carte puisque la concentration de Paul Smart y est particulièrement importante : 200 dans l’archipel, ce qui représente 10% de la production mondiale de cette incroyable machine !

Tous les ans, les Paul Smartistes japonais se rassemblent et diffusent largement les photos de ces manifestations importantes. En chinant sur internet, le nom de Noritaka est apparu plusieurs fois, la spontanéité et l’immédiateté d’Internet ont fait le reste : Ben et Nori sont devenus « Facebook friends ».

Récit d’une folle soirée en compagnie de Noritaka, alias Nori, aka Paul Smart Man, président du club Ducati Performance et du club Paul Smart du Japon. Oui Madame, rien que ça !

En ce vendredi du joli mois de mai, nous avons rendez-vous à 16 heures à notre hôtel avec Nori et sa femme Kei. Ouf, malgré quelques aléas de GPS, nous sommes pile à l’heure et accueillis par un « omiyage » de bienvenue, que nous rapportons immédiatement dans la chambre, l’usage japonais voulant que l’on n’ouvre pas un cadeau sous les yeux de celui qui vous l’offre – bien pratique quand il s’agit d’un cadeau embarrassant que l’on s’empressera de revendre sur le Bon Coin, n’est-ce pas ? 😉

Le cadeau mis à l’abri, direction le château de Kumamoto, guidés par nos charmants hôtes qui ne parlent que quelques mots d’anglais. Prévoyants, nous avons téléchargé une appli qui permet de traduire en live des phrases prononcées dans le téléphone. « Il est coutume toit luisant protection du peuple » ou encore « Allons visite photographier pendant que lieu lumineux ». Limpide, non ? 😀
L’heure n’est pas encore aux échanges mécaniques et la discussion tourne principalement autour de notre voyage et des beautés architecturales japonaises. Sans la technologie moderne, nous nous serions contentés de sourires et de gestes, tandis que là, la conversation coule, fluide, entrecoupée de bons fous rires déclenchés par les traductions approximatives.

Nori, la soixantaine dynamique et joyeuse, dirigeait une société alimentaire et profite maintenant de sa vie de retraité dans la chouette ville de Kumamoto et la non moins magnifique région d’Aso (article en préparation, patience !). Seize ans de permis, dont neuf passés à choyer sa Paul Smart, Nori est un monsieur absolument charmant et malicieux, doublé d’un motard aguerri et passionné avec qui nous n’allions pas être au bout de nos surprises…

19 heures, il est temps d’aller dîner. Autour du barbecue nippon succulent (le bœuf de Kyūshū, vous connaissez ?) et d’un ptit verre de sho-chū, la conversation s’échauffe et s’oriente progressivement vers les montures de nos deux Ducatistes. Échappements Zard, pièce en aluminium taillée dans la masse, étriers de freins double piston à fixation radiale : lorsqu’il s’agit de parler mécanique, plus besoin de traducteur, les mots sont universels ! Nori est connaisseur et nous dévoile ses bonnes adresses et astuces de Paul Smartiste au pays du Soleil Levant – au grand dam de Kei qui rigole et hausse les yeux au ciel dès que la conversation s’oriente moto.
On pourrait penser que rien ne ressemble plus à une Paul Smart qu’une autre Paul Smart, grossière erreur de débutant ! Hormis les suspensions et la fourche, la Ducati de Nori est entièrement accessoirisée et préparée. Il a même imaginé et créé lui-même une pièce sur-mesure pour le cul de selle. Moins bombée que la coque originale, et beaucoup moins rembourrée, celle de Nori comporte une cachette secrète : un mini coffre, accessible en détachant le dosseret. Bien pratique pour les rafraîchissements essentiels à toute balade, même si les policiers japonais ne rigolent pas avec le taux d’alcoolémie.

Nous demandons à Nori à quelle fréquence il profite de sa belle, il répond « dès que possible ». On sent que chaque sortie est un cérémonial : pantalon et veste avec protections ad-hoc à enfiler quelle que soit la distance à parcourir, des conditions météo adéquates, un trajet bien préparé…une virée ne s’improvise pas ! Entre chaque balade, Nori fait du vélo. De façon intensive. Seule façon de garder la forme et de supporter la position de conduite ultra sportive de la Paul Smart. Ben me confie en aparté qu’à 30 ans, il a déjà mal aux poignets au bout de quinze minutes de route, alors imaginons ce que cela doit être avec le double de son âge…
Les autoroutes japonaises étant limitées à 80 km/heure (sans parler des nationales plafonnées, elles, à 40 km/heure), nous sommes curieux de savoir comment Nori a pleinement pu éprouver les qualités de son destrier. Dans un clin d’œil malicieux, il nous avoue faire régulièrement du 200 km/h…chut, cela reste entre nous et le barbecue. Motard japonais discipliné certes, mais rebelle malgré tout !

21 heures, place aux choses sérieuses. Nori nous entraîne dans les tréfonds de Kumamoto, une enseigne clignote en bas d’une volée de marches sombre…Stella. Le petit bar souterrain est désert, nous prenons place sur les tabourets hauts. Le tenancier, nœud pap et lunettes de vue, semble tout droit sorti d’un bureau de Shinjuku plutôt que du milieu de la nuit kumamotoïte. Avec décontraction, il nous prépare quatre cocktails aux saveurs parfumées…sort un jeu de cartes…et là, sous nos yeux ébaubis, se met à enchaîner les tours de passe-passe. Je peux en témoigner, j’ai de mes propres mains déchiré une carte tirée au hasard, retrouvée trois minutes plus tard pliée mais intacte dans la main de Ben !
Un magicien très connu camouflé en barman de province, il n’y a qu’au Japon que cela peut arriver !

22h30, l’heure parfaite pour changer de lieu. La soirée ne serait pas pleinement réussie sans pousser la chansonnette. Direction le karaoké ! A nouveau un escalier qui ne paye pas de mine et que nous n’aurions absolument pas remarqué si nous n’étions pas guidés par nos « parents japonais », tels que Nori et Kei se sont eux-mêmes surnommés. Une porte coulissante…un rideau de dentelle, et ô surprise, un minuscule bouclard décoré de bannières et autres affiches Harley Davidson ! Yumi, la propriétaire des lieux, est une rideuse émérite et figure en bonne place sur les photos de rassemblements qui ornent les murs. En tant que propriétaire privilégiée d’une « Dzepha » (comprendre Zephyr), une japonaise, je suis accueillie comme une reine. Le sho-chū coule à flots, le bar est à nous, place aux décibels ! Je vous épargne les vidéos de nos prestations déplorables sur Queen ou Lionel Richie, tandis que nos hôtes, manifestement inconditionnels de la pratique, assurent sur les classiques des chansons pop japonaises. Il est déjà minuit, quelques habitués nous rejoignent. Échange de photos, de stickers, quel dommage de ne pas pouvoir aller faire un tour ensemble !

Retour à l’hôtel par l’arcade marchande la plus populaire de Kumamoto. Les groupes de jeunes éméchés déambulent bras dessus, bras dessous, gaiement, sans hystérie, avec délicatesse même, à la japonaise en somme.
Une dernière glace pour clôturer cette soirée incroyable et nous nous glissons le sourire aux lèvres dans les bras de Morphée.

Merci Kei et Nori pour cette incroyable soirée pleine de rebondissements et de rencontres ! Nous reviendrons, à moto cette fois-ci, c’est promis…et nous vous attendons de pied ferme à Paris !