Nice People #9  Bol d'Or 2017  Girls Racing Team

Nice People #9
Bol d’Or 2017
Girls Racing Team

Une heure du matin. Nous sommes plantées devant le stand du Girls Racing Team, dont la pancarte arbore trois minions empilés et hilares. Ni une ni deux, Hervé, notre chevalier servant du week end, s’élance vaillamment vers la team manager afin de décrocher l’autorisation d’interviewer les pilotes. Le Girls Racing Team est en effet la seule équipe 100% féminine du Bol d’Or. Impossible de ne pas les rencontrer ! Nous avons préparé nos questions mais ne faisons pas les fières : et si nous déconcentrions totalement les filles ? Et si elles ne voulaient pas nous parler ?

Une heure et trois minutes.
Muriel Simorre fait son apparition en haut des marches de la régie. Nous ne tarderons pas à apprendre que c’est elle qui a créé l’équipe il y a quatre ans. Quelle chance ! Deux nattes divisent ses cheveux blonds, son visage est concentré, elle vient probablement de se réveiller. Nous nous présentons rapidement et aussitôt, son visage s’illumine, c’est d’accord pour l’interview, vite vite avant qu’elle ne s’échappe.

Quelle est l’histoire de Girls Racing Team ?
Girls Racing Team est née en 2013. Mon compagnon faisait déjà des courses de 24 heures et j’ai décidé de créer une équipe filles « pour voir ». J’ai recherché des filles qui auraient envie de rouler avec moi, c’est ainsi que l’aventure a démarré.

Nous avons commencé par faire les 24 Heures de Barcelone en 2013 à quatre filles : Amandine Creusot (qui fait toujours partie de l’aventure), deux Canadiennes et moi. L’équipe a pas mal changé depuis en fonction des disponibilités de chacune. En 2014, Jolanda Van Westrenen nous a rejoint avec une Américaine. En 2015, une autre Américaine a remplacé celle de 2014 mais le noyau dur Amandine / Jolanda / moi était déjà bien formé. C’est cette équipe qui roule ce week end au Bol d’Or.

Comment provoque-t-on la rencontre de telles passionnées ?
Grâce aux réseaux sociaux ! J’ai aussi participé à des stages de pilotage spécial filles, qui m’ont notamment permis de rencontrer Jolanda et Mélissa Paris, un autre des piliers de l’équipe.

Comment se préparer à une telle épreuve ?
On s’entraîne, on roule beaucoup, on fait du sport à côté, Amandine court beaucoup, moi je fais du cross fit.

C’est compliqué de s’entraîner ensemble car nous ne venons pas du tout de la même région. Je viens de Grenoble, Amandine de Besançon, Jolanda est hollandaise. Chacune s’entraîne dans son coin.
C’est également très compliqué de s’entraîner pour une si longue durée car ce type d’entraînement n’existe pas. Dans tous les cas, ce sont des sessions classiques de vingt minutes sur une journée… il n’y a pas d’entraînement pour 24 heures.

Comment arriver à récupérer entre les sessions ?
Chacun son truc, ça dépend des personnes, moi j’ai tendance à dormir. Je m’endors hyper facilement. D’autres ne dorment pas du tout, vont avoir besoin de manger ou d’aller voir le kiné, nous sommes tous différents.

Physiquement, comment se sent on après vingt quatre heures de moto ?
Ce qui est compliqué ici, ce sont les cervicales, car la ligne droite est longue et dure. En général, on est à 320 km / heure en arrivant à la fin de la ligne et au bout d’un moment, les cervicales fatiguent.

Il est une heure passé de six minutes, la team manager vient faire signe à Muriel que le changement de pilote aura lieu dans quatre tours. Muriel nous sourit, s’éloigne, enfile méthodiquement son casque, ses gants, met ses lunettes et s’assoit afin d’attendre calmement l’arrivée de sa coéquipière.
Nous nous glissons dans un coin, intimidées et ravies, le coeur battant.
Les membres de l’équipe prennent tour à tour leur poste, chacun connaît par cœur la tâche qui lui est assignée, le moindre centième de seconde va compter lors de l’arrêt de la moto. La tension enfle à mesure que l’échéance approche, les corps se tendent, les visages scrutent l’entrée de la pit lane.

La voilà ! Comme un seul homme, l’équipe s’anime, s’active, on se croirait dans un dessin animé en accéléré tant les actions s’enchaînent rapidement et sans heurts, à peine le temps de dire ouf et Muriel a disparu dans la nuit tandis que s’avance vers le fond du box une petite combinaison verte et bleue surmontée d’un énorme sourire. C’est Amandine Creusot.

Admiratives, nous patientons le temps qu’elle enlève son armure de cuir, se désaltère et s’en remette aux mains expertes de la kiné. Nous nous accroupissons auprès d’elle, charmées par sa vivacité et son énergie communicative.

Une heure trente de répit. Comment te sens-tu ? Que ressens-tu en descendant de la moto ?
Ça fait mal au dos ! J’avais déjà un point douloureux avant de venir, donc forcément, ça n’allait pas s’arranger, mais bon, ça ne m’empêchera pas d’aller au bout, c’est pas grave.

C’est l’objectif, aller au bout ?
Oui. Sur une course de 24, il peut se passer tellement de choses que l’objectif principal est vraiment de passer le damier. Une fois que t’as passé le damier, t’as cette satisfaction personnelle d’être arrivée, pour les mécanos, pour tous les gens bénévoles qui se sont investis dans l’aventure… une course d’endurance est avant tout une énorme aventure humaine.

Cette équipe a fait les 24 Heures du Mans au mois d’avril, nous nous sommes placées 30e au scratch et 15e au Superstock. Nous avons également fait le Bol d’Or l’année dernière au Castellet. Et avant cela, les 24 Heures de Barcelone en 600 en 2013, 2014 et 2015.
Les piliers de l’équipe sont Muriel, Jolanda, Melissa et moi, les pilotes tournent en fonction des dispos de chacune et du budget.

Combien coûte de participer à une telle course ?
Je ne sais pas combien coûte l’ensemble, je connais juste le montant de ma participation, ce que la team me demande.

Comment sont recrutés tous les bénévoles qui s’occupent de votre team ?
Pierre, le mari de Muriel, faisait de l’endurance avant et ils ont un partenariat avec l’IMT de Grenoble, une école de mécaniciens : pour toute la mécanique, il y a donc les élèves. Ensuite, tout le staff que Pierre avait quand il faisait de l’endurance a suivi son équipe lorsqu’il a passé le flambeau à Muriel.

Comment se prépare t-on tout au long de l’année ?
Alors… la première fois que j’ai fait les 24 Heures de Barcelone, je ne m’étais pas du tout préparée (rires).
Sinon, je fais du sport à côté, je fais des trails : quand tu cours trois heures, t’as intérêt à avoir un peu de cardio. Et je vais aussi à la salle de sport, mais c’est plus pour passer du bon temps avec mes copines.

Ça fait longtemps que tu fais de la moto alors ?
Non pas tellement ! J’ai commencé la moto à 24 ans (ndlr : elle en a maintenant 31), ça ne fait pas si longtemps que ça..
Après, tout dépend de tes objectifs, de la façon dont tu te sens sur la moto. J’ai commencé à faire de la piste, l’année d’après je faisais déjà un championnat et en fait ça va très vite, dès que tu vois que la progression est bonne, qu’il y a un bon feeling, c’est entraînant et ça te tire vers le haut.

Tu t’entraînes dans quelle région ?
Vers chez moi, donc principalement sur le circuit de Dijon Prenois, car ce n’est pas loin, ça ne me coûte pas trop cher en déplacement. Les entraînements coûtent en effet très vite cher. Pour venir au Castellet, c’est sept heures de route, je sais pas combien de péages… L’addition grimpe vite ! Je m’entraîne sur ma moto qui est une R1 aussi.

Comment est-ce que tu récupères entre les relais ?
Je ne peux pas dormir ! Je prends du café, je mange des bananes, on me prend en photo (rires)… Depuis que j’ai commencé l’endurance, je ne dors pas, je ne me repose pas, je pense que j’ai besoin de garder l’adrénaline à son plus haut niveau. Si je me couche un coup, je ne sais pas ce qui peut se passer. Je ne l’ai jamais fait et je ne veux pas le faire !

Comment est-ce que tu te sens entre les relais et à la fin de la course ?
Là ça va, mais au 24 Heures du Mans, j’ai enchaîné les deux derniers relais, j’ai roulé à midi, arrêté à 13h10 et je repartais à 14h pour passer le damier. Le dernier quart d’heure, je commençais à avoir mal aux jambes, à en chier, mais c’était le dernier quart d’heure, il fallait tenir.

Tu arrives à rester concentrée jusqu’au bout dans ces cas-là ?
Tout était déjà presque joué, notre place était quasi acquise parce qu’on avait 45 secondes de retard sur ceux de devant, impossible à aller chercher en quinze minutes et on avait trois tours d’avance sur ceux de derrière. J’ai commencé à regarder le public, à me demander où étaient les gens, à regarder l’horloge, à faire des calculs, dix minutes = sept tours…

Et puis on a passé le damier sous un grand soleil alors qu’au Mans ce n’est pas forcément toujours le cas, donc il y avait énormément de monde, j’essayais de lire les banderoles… j’essayais de meubler les derniers tours en somme !
J’étais KO et c’est vrai que les dix dernières minutes, ça relâche quand même, pour tous ceux qui ne jouent pas un podium ou pour ceux dont la place est acquise. Ce qui est dommage, c’est d’essayer de forcer et de commettre une erreur juste avant la fin, c’est tellement bête.

Est-ce que le temps pour se remettre est comparable à un après-trail ?
Après un trail, tu es rincé, mais tu te sens bien. Ce n’est pas tout à fait la même chose après une course d’endurance, car il y a une vraie fatigue psychologique, et aussi occulaire. Rouler à 300 fatigue énormément les yeux, il faut tout le temps faire la mise au point, or ce n’est pas le cas dans tous les sports.

As-tu déjà eu un coup de barre ?
Non jamais !

Et la nuit ?
J’ai une seconde d’écart avec la journée sur chaque tour. Il y a un spot au bout de la ligne droite qui créé une ombre et je ne vois rien. Je crois que ça ne gêne que moi (rires).

Est-ce que tu appréhendes de rouler de nuit ?
Non ça va. J’ai toujours besoin de deux tours d’adaptation pour que ma vision s’acclimate. Ce qui est un peu perturbant ce sont les feux des autres. De jour, on ne les voit pas, mais la nuit, quand tu commences à en voir quatre de chaque côté, tu te dis qu’au prochain virage il va y a voir une baston, ça met un peu de pression, surtout les lumières blanches, les EWC. Ce sont des motos qui roulent beaucoup plus vite que nous, je me dis « ils vont encore me dépasser comme des charrettes, ils vont me frôler ».

C’est ce qui s’est passé tout à l’heure ?
Pas exactement, là c’était un gars qui roule dans notre catégorie, je ne sais pas ce qui s’est passé, il a failli percuter la moto qui était devant nous, qui ne roulait pas très vite, il a coupé et m’a arraché ma botte ! Ça ne se fait pas du tout, c’est pas comme ça qu’on drague les filles ! C’était mon premier tour, ça m’a mise direct dans le bain et je me suis dit « faut que je mette un peu de gaz sinon je vais y rester ».

C’est là que tu vois qu’il y a une très grande différence de pilotage entre les hommes et les femmes ! Les femmes ont un instinct de conservation qui est beaucoup plus élevé, nous évaluons beaucoup plus les risques. Pour les mecs, tant qu’il n’y a pas 80% de risque, ils y vont. Au-delà de 50%, perso, je n’y vais plus, fifty-fifty ça veut dire que je ne suis plus maître des choses.
Parfois tu en vois deux devant qui se touchent, qui essayent de se passer, je ne me mêle pas à la bataille, je sais que ça va mal finir et souvent, c’est le cas.

Tu es déjà tombée ?
Oui un paquet de fois, une quinzaine je pense. Je ne me suis jamais cassé quoi que ce soit, « seulement » des bleus, brûlures, contusions, des motos en cubes…

A quoi tu penses quand tu roules ?
A rien. Tu penses à regarder tous tes points de repère, ton point de frein, de lâcher de frein, ta corde. Ce circuit, je ne le connais pas du tout, c’est tellement loin de chez moi que je ne viens que pour le Bol. En plus ce tracé n’est pas ouvert au public en temps normal.

Est-ce que tu l’analyses en théorie avant ?
Non. Parce qu’en fait, entre la théorie et la pratique, il y a un gouffre. Tu prends la théorie, c’est facile, je sais tout faire sur le papier. Quand je suis au guidon, ça ne marche pas ! C’est bien la théorie, tout le monde connaît, mais c’est la mise en pratique qui compte. Les trajectoires tout ça, on les visualise parfaitement. C’est juste qu’on n’arrive pas à les faire comme on aimerait (rires).

C’est aussi pour ça qu’on a les essais pré-Bol, pour pouvoir se familiariser avec le circuit, retrouver nos marques. Après, on peut en parler entre nous, comparer des choses pour voir si on agit de la même façon, se donner nos points de repère. Quand on dit la même chose, c’est que ça doit être à peu près cohérent, c’est rassurant.

Comment ça se passe dans ce milieu ultra masculin ?
Je crois qu’à force ils s’en foutent ! Je pense que la première année en championnat du monde, l’année dernière au Bol, nous étions regardées. Ce n’était pas la première fois qu’un équipage 100% féminin essayait de s’engager, j’avais par exemple été contactée à l’époque par Amazone Fire, qui ne tenait pas vraiment la route.
D’une certaine manière, nous étions attendues. Mais nous avons pris le temps de faire Barcelone trois fois avant, de voir qu’au sein de la team, tout le monde était rodé pour ce genre d’épreuve, pour justement montrer que nous avons notre place dans ce championnat.

Aujourd’hui, je dirais que les gens sont hyper respectueux.
Il y en a qui s’en foutent, comme ça, au pire, ils ne nous dérangent pas, mais il y en a pas mal qui sont très respectueux de ce que l’on fait. Surtout en voyant notre gabarit. J’entends régulièrement des pilotes qui me disent « ça me fait bader de te voir monter sur la moto, il manque 50 cm d’un côté ». Je fais 45 kg, et quand il faut freiner la moto au bout de la ligne droite, je ne sais pas combien de G on se prend dans la figure, mais t’as beau être musclé, tonique et sportif, à un moment donné, les lois de la physique te rattrapent.

Est-ce qu’il y a des mamans dans la team ?
Aucune de nous !

Deux heures du matin, nous aurions encore des dizaines de questions à poser à cette pilote de choc mais il est à présent temps de nous éclipser et de laisser l’équipe se reposer. Une photo souvenir devant le papier peint orné des logos des sponsors et nous voici reparties le long de la pit lane, dans nos pensées, ravies et impressionnées par ce que nous venons d’entendre.

Trois heures du matin, nous nous glissons avec délice sous la couette. En tendant attentivement l’oreille, on peut déceler au loin le rugissement des moteurs qui tournent inlassablement. Fascinées à l’idée que, dans quelques heures lorsque nous nous réveillerons, les mêmes engins seront toujours en train d’évoluer sur le magnifique circuit Paul Ricard, nous sombrons dans le sommeil, emportées par des rêves de vitesse incroyable.

Epilogue : Le Girls Racing Team finira 19e au classement général et 8e en Superstock de ce 81e Bol d’Or, bravo les filles, nous avons hâte de connaître la suite de vos aventures !