La visio et mon égo...

La visio et mon égo…

Tout a commencé par un ras le bol. De voir ma tête, toujours la même, en haut à droite dans Google Meet, en bas à gauche de Zoom, en plein écran quand je mets en route l’un de ces outils de visioconférence…

Ah la visio, un an qu’on se coltine ce moyen de garder le lien avec nos clients, collègues, partenaires. Un an que je scrute en biais ma tête sur écran, le reflet permanent de mes humeurs et pensées, et que je me trouve parfois jolie et coquette, d’autres fois morne et insipide.

Ma confiance en moi est en dent de scies. Normal, lorsqu’on est confrontée quotidiennement à sa face. Couper la caméra ? Vous n’y pensez pas ! Mes interlocuteurs ne comprendraient pas. C’est donnant donnant. Tu me livres ton regard, je t’affiche mon sourire. Sinon la relation est déséquilibrée, tronquée, n’inspire pas confiance.

Alors voilà. Un an que je m’apprête chaque matin pour aller au télétravail. Maquillage, Coiffure, choix de la chemise / du pull. Passer de la salle de bain au salon, de la cuisine à la chambre, m’asseoir et me connecter aux réunions en visio. Sur les jambes, jean ou survet’, je reste toujours en « plan poitrine » comme disent les journalistes, alors à quoi bon revêtir jupe et talons.

« T’es en mute » a certainement du être la phrase la plus émise en 2020 . En 2021 c’est plutôt, « oh c’est joli chez toi ». Belles les moulures de ton haussmannien, canons ces poutres apparentes qui nous signifient que tu as bien respecté les 10km, chouette la forêt que l’on discerne au loin! Mais souvent c’est plutôt, « Oh sympa ton faux fond d’écran lagon » ! Le hic est que lorsque tu t’éloignes de ton écran ou que la lumière n’est pas bonne, tu ressembles à un extra terrestre qui bouge de manière étrange et disparaît dans un halo nébuleux visuellement peu heureux. Elles ne sont pas encore au point toutes ces appli.

Depuis un an, chacun maîtrise donc plus ou moins les tactiques pour se rendre la vie-sio moins pénible : changer de place régulièrement (« tiens, tu es dans ta chambre, ah te voilà de retour au salon ! »), se doter d’un éclairage projecteur de photographe (si si, un de mes collègues m’a confié que ca lui donnait meilleur mine), tester des applications qui vous « maquillent » en un clin d’oeil (vive l’innovation par l’Oreal), mettre des couleurs gaies sur soi, se coiffer différemment pour varier les plaisirs… ou carrément changer de tête.

C’est cette voie que j’ai empruntée. Celle de la métamorphose. Parce qu’à force de voir ma tronche chaque jour dans un écran, de ne sortir que très peu de ma grotte de travail, de ne pas prendre de vacances, j’ai craqué.

Rendez-vous pris chez un coiffeur parisien coté, c’était décidé, il fallait dépoussiérer mon portrait. « Faîtes ce que vous voulez ! Coupez, changez la couleur, mettez une frange si ça vous chante ». Grands sourires grisés du technicien et du coiffeur. Ce sera un carré roux avec frange. Go !

S’ensuit un ballet bien agréable : passage au bac avec massage shampooing, installation dans un fauteuil douillet qui masse, le cuir chevelu est humide et frais, le bonheur ! Puis, « cut cut cut », j’entends les ciseaux qui s’en donnent à coeur joie. Lucas le coloriste prend le relai, une fois le séchage « naturel effet air libre » finalisé. « Waou c’est canon ! » s’extasie-t-il.

Place à la couleur ! Et voilà qu’on me badigeonne la crinière et tapisse les mèches. De mon côté je savoure le moment, pour une fois que je m’octroie quelques heures en dehors de mon étau de télétravail, loin des visio conférences…

Enfin au bout de 2h30 de coupe, couleur, pose, séchage, le verdict tombe : je suis un mélange de Uma Thurman dans Pulp Fiction et… un playmobile. Impossible de me reconnaître. Je n’aime pas vraiment, mais je me force à sourire et à féliciter mes deux coiffeurs qui se sont donné tant de peine. « Ca te plaît ? Oui oui, ca change, faut que je m’habitue ! »

Je me laisse appâter par les produits complémentaires et incontournables destinés à prolonger la couleur et soigner la tignasse rapetissée, puis je sors, allégée de quelques centaines d’euros et de « feu ma longue chevelure blonde ».

Dans la rue, bien camouflée sous mon masque, je regarde mon reflet dans chaque vitrine, chaque abribus. Je complète ces auto-analyses par des selfies pris dans la rue, avant de m’engouffrer dans le métro. Arrivée dans ma banlieue clichoise, je passe par le marché acheter charcuterie et fromages histoire de me requinquer. Les commerçants sont particulièrement agréables, plus que d’habitude ? Je me convaincs que oui. En arrivant chez moi, deux jeunes hommes téméraires m’apostrophent d’un « jolie madame » ! Bon, on dirait que j’ai (encore) du succès, même en playmobile rousse-châtain.

Mon bébé, quand il m’a vue le soir, a fait le tour de la table basse, le regard en coin, et a fini par s’approcher avec méfiance quand il a entendu ma voix. Après avoir posté une photo sur Facebook, un de mes amis italiens m’a appelée pour me dire « nous les gars, quand a besoin de remontant, on va boire des verres avec des copains et le lendemain c’est fini. Vous les gonzesses, vous allez chez le coiffeur et vous faîtes n’importe quoi ». Sympa l’ami.

C’était il y a une semaine. Depuis, je sursaute quand mon regard croise un miroir… et je coupe ma caméra dans les réunions en visio.